Les dialogues du scénariste Jean-Louis Milesi cités en référence pour la recette de l’aïoli !
La « vraie » recette de l’aïoli était déjà sujet à débat entre Marius (Gérard Meylan) et Dédé (Jean-Pierre Darroussin) dans Marius et Jeannette réalisé par Robert Guédiguian.
Alors qu’une journaliste enquête pour enfin percer les mystères de cette fierté provençale, la recherche de la recette du véritable aïoli débute par les dialogues de Jean-Louis Milesi !
Il faut avouer qu’il n’est pas rare de retrouver quelles astuces cuisine ou cocktails, les parfums des marchés et des produits frais à partager dans les écrits du scénariste marseillais . Jean-Louis Milesi ne boude jamais les petits moments de bonheurs simples à vivre entre amis ou en famille, la dégustation d’un bon aïoli en fait partie!
Simplicité et sincérité, humanité et authenticité caractérisent naturellement de nombreux personnages de cet auteur qui voit dans le fait d’être heureux, un véritable acte de résistance.
Très bel été à tous, plein de joies et avec un petit parfum de Provence dans vos assiettes pourquoi pas ?
«Les gens du nord, les Parisiens surtout, en font fi tant qu’ils ne la connaissent pas, mais faites-la leur goûter, et s’ils ne se fixent pas en Provence, ils y reviendront souvent, alléchés par ce fumet.»
La vraie recette de l’aïoli
Lucie de la Héronnière — 20 juillet 2020 à 7h52 – Slate.fr
Dans une cimenterie abandonnée du quartier de l’Estaque, à Marseille, un aïoli se prépare. «Où elle a vu qu’on mettait du fenouil dans l’aïoli?», s’insurge Dédé (Jean-Pierre Darroussin) en tournant le pilon dans son mortier. «Et si ça lui plaît, le fenouil?», répond Marius (Gérard Meylan), dans sa combinaison rouge. «Hé! Attention! La vraie recette de l’aïoli, c’est des haricots verts, des carottes, des patates, du chou-fleur, œuf dur, baccala [morue, ndlr] et basta», réplique alors doctement Justin (Jacques Boudet).
Cette scène pagnolesque est extraite du film Marius et Jeannette, de Robert Guédiguian. L’aïoli, cette pommade dorée, faite d’huile d’olive, de jaune d’œuf et d’une quantité d’ail non négligeable, s’accompagne en effet de divers ingrédients. Selon les envies du jour, selon Marius («Eh, vous me faites rire. Si ça lui plaît, le fenouil, on s’en fout de la recette!»), ou selon des codes bien précis, selon Dédé, un peu énervé («Elle a qu’à mettre des radis, aussi!»)
La discussion filera ensuite vers le genre de la chose («Toi, toi tu dis UN aïoli, on dit pas UN aïoli, on dit UNE aïoli», affirme encore Justin) et même sur l’une des recommandations essentielle pour ne pas rater la sauce, verser l’huile très doucement (sans faire «les chutes du Niagara»).
Le «Beurre de Provence»
Dans ce passage du film, la préparation de l’aïoli fait débat, mais une chose est sûre: il faut beaucoup d’ail. «Il a mis au moins quinze gousses»,commente Monique (Frédérique Bonnal). C’est la moindre des choses. «La cuisine provençale est basée sur l’ail. L’air, en Provence, est imprégné d’un parfum d’ail qui le rend très sain à respirer», écrivait Alexandre Dumas dans son Grand dictionnaire de cuisine (1873). Ainsi, «il entre pour principal condiment dans la bouillabaisse et dans les principales sauces. On en fait, écrasé avec de l’huile, une espèce de mayonnaise que l’on mange avec du poisson et des escargots». À noter, certain·es habitant·es de Provence n’aiment pas trop que l’on traite leur chère pommade aillée de mayonnaise… Car c’est bien plus que cela.
L’ail est assurément un ingrédient phare de la cuisine provençale, tout comme l’aïoli a des origines méditerranéennes. Plusieurs pistes mènent vers l’Antiquité. Dans son Histoire naturelle et morale de la nourriture (Le Pérégrinateur), Maguelonne Toussaint-Sammat évoque l’empereur romain Néron: «Celui-ci passe pour avoir inventé, personnellement, l’aïoli.»L’historienne décrit aussi une recette byzantine riche en ail, «rôti au four, puis écrasé avec de l’huile d’olive et du sel. C’est une délicieuse préparation que l’on retrouve en Espagne. Bien sûr, il faut aimer l’ail! […] L’aïoli byzantin ou skoodaton était-il celui de Néron? On s’en pourléchait dans toutes les classes de la société».
«La cuisine provençale est basée sur l’ail. L’air, est imprégné d’un parfum d’ail qui le rend très sain à respirer.»
Alexandre Dumas, écrivain français
Jacques Bonnadier, journaliste et auteur, glisse d’autres conjectures dans son Petit traité amoureux de l’Aïoli (À l’asard Bautezar!), comme celle de François Mazuy, qui rapporte les propos d’un jeune homme très au fait des «choses oubliées», dans son Essai historique sur les mœurs et coutumes de Marseille au XIXe siècle (1853):
«On raconte […] que les Phocéens, qui vinrent jeter les fondements de la grande cité marseillaise (600 av. J.C), remarquèrent que, non loin des lieux où ils avaient établi leurs premiers campements, les cultivateurs avaient l’habitude d’écraser quelques gousses d’ail entre deux morceaux de pain noir et dur, et que, pour activer la trituration et donner plus de saveur à cet aliment, ils y mêlaient un liquide jaune, le roux d’un œuf cru, et mangeaient ensuite ce mélange avec un extrême plaisir. Les Phocéens, surpris d’abord, ne tardèrent pas à suivre leur exemple; mais, plus raffinés que les indigènes, ils surent délicatement, sans doute, mélanger cette sorte de pâte avec leurs autres aliments et la préparer dans des vases de terre.»
Plus tard, au Moyen Âge, les provençaux mangeaient du poisson et des œufs pendant le carême, relevés sans doute d’une «aillée», «mélange d’ail, d’amande et de mie de pain pilés ensemble et liés d’un peu de bouillon, tel que l’appréciait depuis longtemps le peuple méridional», écrit Jacques Bonnadier. Autre hypothèse signalée par l’auteur, une idée développée par Marius Morard dans son Manuel complet de la cuisinière provençale (1886), l’aïoli aurait été inspiré par la bourride, créé pour améliorer cette soupe de poisson blanc.
Ajoutons que la grande peste de Marseille, en 1720, aurait renforcé l’usage de l’ail comme assaisonnement, grâce à ses propriétés antiseptiques. «Comme on dit en Provence: l’ail sert d’épice au pauvre. De médicament aussi!», note Maguelonne Toussaint-Sammat. Quoiqu’il en soit, le mot est attesté pour la première fois dans un dictionnaire au XVIIIe siècle. Selon Claudine Brécourt-Villars, dans Mots de Table, Mots de bouche (La Table Ronde), le terme est «emprunté au provençal moderne ai « ail » et oli « huile »».L’orthographe du mot a longtemps été «ailholi» ou «ailloli».
On retrouve dans plusieurs ouvrages une anecdote royale. La voici racontée dans le Manuel de la cuisinière provençale, un livre de recettes publié en 1858, qui commence avec quelques pages sur «cette espèce de moutarde indigène, décorée du nom significatif d’ailloli, et qu’on appelle quelques fois aussi, beurre de Provence, pommade à l’ail». Quelques années avant la Révolution, Louis XVIII, alors comte de Provence, va visiter la contrée dont il porte le nom. Il est bien reçu, avec moult fêtes et démonstrations de joie. Après une partie de pêche organisée par la corporation des pêcheurs, il est convié à un véritable festin:
«Au banquet, on lui servit pour premiers plats la bourride et l’ailloli traditionnels. Il les trouva tellement de son goût, y revint si souvent et si copieusement, qu’à peine put-il toucher à ce qui suivit, et pourtant il jouissait dès lors de ce vigoureux appétit qui ne lui a jamais manqué, et l’a peut-être consolé quelques fois des déceptions de la politique. Ayant demandé comment s’appelait cette sauce, on lui dit que c’était du beurre de Provence. Il est excellent, dit-il, mais l’animal qui donne le lait dont on retire ce beurre-là ne doit pas avoir des mœurs très douces. Il garda un long et agréable souvenir du banquet des pêcheurs, de l’aiolli et de la bourride. Il en parlait quelques fois à Hartwell [dans le sud du Royaume-Uni, son lieu de résidence lors de son exil après la Révolution française, ndlr], mais avec ses intimes seulement, et connaissait trop bien les convenances pour jamais prononcer le mot d’ail devant un Anglais.»
Symbole et fierté provençale
La réputation de cette préparation provençale s’étend en tous cas au fil des décennies, jusqu’à devenir un symbole gastronomique. «Autour du divin aïoli, cet aïoli embaumé et roux comme un fil d’or, où sont, répondez-moi, les hommes qui ne se reconnaissent point frères?», écrit le poète Frédéric Mistral au XIXe siècle, cité par Maguelonne Toussaint-Sammat. L’aïoli, qui désigne par extension l’ensemble composé de la sauce et de ses accompagnements, est assurément un mets aussi liant que très odorant.
Ce même Frédéric Mistral a créé un journal qui «défend la cause méridionale», appelé tout simplement… L’Aiòli. Le journaliste Jacques Bonnadier, contacté par téléphone, raconte que l’expression «Aïoli!» est utilisée dans des milieux musicaux marseillais «comme une formule de bénédiction, de ralliement, d’union. Jo Corbeau, notamment, a constaté les vertus rassembleuses de l’aïoli. L’une de ses chansons s’appelle « Yéba Aïoli »».
Le groupe Massilia Sound System a signé en 2002 le titre «Monter l’aïoli».
Et puis, l’aïoli est aussi certainement une fierté provençale, un plat étendard. Déjà, en 1858, le Manuel de la cuisinière provençale s’en amusait: «Les gens du nord, les Parisiens surtout, en font fi tant qu’ils ne la connaissent pas, mais faites-la leur goûter, et s’ils ne se fixent pas en Provence, ils y reviendront souvent, alléchés par ce fumet.» Aujourd’hui, des associations comme les Compagnons de l’aïoli de Solliès-Toucas (Var), la Confrérie des Chevaliers de l’Aïet de Trets (Bouches-du-Rhône) et même, en Occitanie, la Confrérie Roussillonnaise de l’aïoli, défendent cette préparation.
En 2001, le linguiste Philippe Blanchet publie Langues, cultures et identités régionales en Provence: la métaphore de l’aïoli. Au début de l’ouvrage, il explique le choix de cette référence culinaire comme sous-titre. Cette sauce «symbolise l’identité culturelle provençale, bien au-delà de la région, par l’un de ses nombreux emblèmes culinaires et alimentaires (avec le pastis, la bouillabaisse, les herbes aromatiques, etc.). Mais plus que ça, l’aïoli symbolise également l’identité provençale pour les provençaux eux-mêmes, depuis longtemps et jusqu’à aujourd’hui, où cette image connaît un regain de vitalité. En effet, l’aiòli (littéralement ailhuile) est par définition la fusion complète d’éléments différents, perçus comme typiques (l’ail et l’huile d’olive)»
Consommé lors de fêtes collectives, préparé avec des ingrédients simples, utilisé dans de nombreuses expressions populaires… «L’aïoli est donc la métaphore de l’identité provençale vivante, conviviale, intégratrice, populaire et méditerranéenne, jusque dans son nom issu de la langue provençale et passé en français».